Tout, dans notre vie quotidienne, dans l’expression de nos expériences ordinaires, notre instinct, même, nous indique que le temps est immuable, filant en sens unique à une vitesse inexorable et que rien n’y pourra changer. Sur ce point, nous sommes d’accord avec les célèbres Newton et Bergson. Tout faux ! Non seulement le temps est instable dans son déroulement, mais à l’échelle de l’Univers, il n’existe pas ! Explications…
Dans Alice au Pays des Merveilles, on aperçoit le lapin fou qui court après le temps qui passe, son horloge à la main. Dans la réalité, un lapin pareil n’existe pas, mais nous arrivons bien à le comprendre. À l’instant où nous le voyons, il court, c’est son présent, dans un passé immédiat, il a commencé sa course, en partant en retard, puis nous imaginons son avenir qui est incertain… Il court en tous cas, pour arriver à l’heure, voilà le destin que nous lui souhaitons. Dans notre esprit, notre vie est parfaitement calquée sur celle du lapin imaginaire d’Alice : nous appréhendons notre passé, révolu et définitivement fixé, nous vivons un présent (plus ou moins conscient, mouvant, statique…) en avançant inexorablement vers le futur, en espérant avoir un bel avenir. Cette appréhension du monde, remarquablement bien décrite par le philosophe Henri Bergson (prix Nobel 1927) peut nous apparaître comme une réalité fondamentale qui agit sur toutes choses dans l’Univers. Eh bien, c’est une erreur. Même si tout notre instinct profond valide cette vision du temps, les scientifiques du XXe siècle, Albert Einstein en tête, n’ont cessé de la remettre en question et d’en abattre la solidité… et le “temps terrestre”, qui a passé, apportant son lot de découvertes et de possibilités d’expérimentations rigoureuses, leur a donné raison, définitivement (nous y reviendrons plus loin). Pour eux, au même titre que n’importe quel objet solide n’est qu’un assemblage de particules actives qui naviguent dans un espace vide, le temps n’est qu’un mille-feuille, suite d’éléments d’informations superposées, un peu à la manière d’un tas de cartes à jouer qui représenterait un « ensemble » inexorable, sujet à de constantes redistributions, un tout qui se déforme et se réorganise constamment. L’univers est une gigantesque matrice mouvante constituée d’informations, et le temps en fait partie. Cette vision contredit donc celle de Bergson et Newton, qui considéraient qu’il existait une « grande horloge » du temps, immuable, à laquelle tout l’univers était inféodé.
D’après sa théorie de la relativité restreinte, Albert Einstein explique que la détermination temporelle et spatiale des événements censés se produire au même instant, est en fait fonction du mouvement de celui qui les observe. La réalité des événements n’est pas le temps ni l’espace, mais la réunion de ces deux entités : l’espace-temps ! À l’échelle cosmique, deux témoins qui ne se déplacent pas à la même vitesse dans l’espace ne seront jamais d’accord sur l’instant ni sur le lieu où se produit un événement. En revanche dans l’espace-temps, ils valideront toujours la même information.
Einstein, en 1915, avec sa théorie de la relativité générale, adapte la relativité restreinte à des lieux (comme la Terre) où la gravitation est présente. La gravitation déforme le temps, et l’écoulement d’une minute sur terre n’est pas forcément équivalent à la durée d’une minute ailleurs dans l’Espace. Synchroniser des horloges dans ces conditions devient impossible. Le temps ne s’écoule pas en obéissant à un unique paramètre temporel, valable dans tout l’Univers, loin de là… Définir le moment réel, sur une ligne de temps pour tel ou tel évènement qui se produit à des années-lumière de notre planète, ou en le comparant à un autre évènement encore, survenu en un troisième endroit très éloigné, devient presque impossible.
Ce décalage, qui pourra paraître abstrait et théorique à bon nombre d’entre nous, a pourtant été vérifié ici, chez nous. Il a suffi de comparer la mesure du temps de deux horloges atomiques, l’une statique sur le plancher des vaches, l’autre faisant rapidement le tour de la Terre dans un avion, pour constater au bout de quelques heures à peine, un infime décalage entre les deux heures indiquées*. Ce phénomène est aujourd’hui parfaitement intégré par les ingénieurs qui « recalent » systématiquement les horloges embarquées dans toute installation (satellites, stations spatiales) en orbite autour de la Terre, corrigeant ainsi de légers décalages qui nuiraient au bon fonctionnement de l’ensemble.
L’emplacement et la modification de la vitesse sont donc des facteurs prépondérants dans l’écoulement du temps à l’endroit concerné. La mesure de la vitesse « absolue », celle de la lumière, a porté un sale coup à la vision héritée de Newton en la matière.