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Derrière le clash

PARU DANS LE MAGAZINE CURIOUZ NUMÉRO 1

Nous revenons sur l’analyse qui avait été faite à propos d’un clash assez violent sur CNews ayant opposé Claire Nouvian (une femme politique – militante écologiste) et Pascal Praud, journaliste, ainsi que son équipe de chroniqueurs sur le plateau de l’émission « l’heure des pros ».

Il est indispensable, pour comprendre ce qui va suivre de visionner cette vidéo d’analyse à laquelle nous apportons ici un élargissement, concernant le mode opératoire des émissions de débats à la télévision et la façon dont elles sont menées.
Dans le cadre de cette émission, on est dans le cas classique de l’invitée « cheveu sur la soupe ».

Dès le départ elle semble juste « tolérée » sur le plateau où les plaisanteries et bons mots sont échangés entre Pascal Praud et ses chroniqueurs qui se connaissent et se pratiquent régulièrement, sur un air de connivence (à la limite du private -joke) qui, dès l’entrée de jeu fait presque passer Mme Nouvian pour une intruse ! Le meilleur exemple : après avoir plaisanté sur la météo du jour, anormalement froide et moqué l’idée du réchauffement climatique, P Praud ne la laisse pas répondre, il distribue la parole entre ses complices et Claire Nouvian reste privée d’expression, comme une spectatrice d’un dialogue (où elle est plus ou moins mise en cause) mais où elle est condamnée à rester silencieuse. Ce type de contraintes avait été parfaitement décrit et analysé, il y a de nombreuses années, par le grand sociologue Pierre Bourdieu. Dans son ouvrage ‘Sur la télévision’ il constate des phénomènes de connivences, ou d’autorité vis-à-vis de certains invités sur les plateaux de débat T.V en mettant en évidence le traitement inégal des uns par rapport aux autres.

« Premier niveau : le rôle du présentateur… C’est lui qui impose le sujet, qui impose la problématique… Le présentateur intervient lui-même par le langage inconscient, sa manière de poser ses questions, son ton : il dira aux uns, sur un ton cassant, ‘veuillez répondre’… Autre exemple très significatif, les différentes manières de dire ‘merci’. ‘Merci‘ peut signifier ‘je vous remercie, je vous suis reconnaissant, j’accueille avec gratitude votre parole’. Mais il y a une manière de dire merci qui revient à congédier : ‘Merci’ veut dire alors : ‘ça va, terminé. Passons au suivant’. Tout cela se passe dans des nuances infinitésimales du ton, mais l’interlocuteur encaisse, il encaisse la sémantique apparente et la sémantique cachée ; il encaisse les deux et il peut perdre ses moyens. Le présentateur distribue le temps de parole, il distribue le ton de parole, respectueux ou dédaigneux, attentionné ou impatient. Par exemple, il a une façon de faire ‘ouais, ouais, ouais…’ qui presse, et qui fait sentir à l’interlocuteur l’impatience ou l’indifférence… (Dans les entretiens que nous faisons, nous savons qu’il est très important de renvoyer aux gens des signes d’intérêt, d’acquiescement, sinon ils se découragent et peu à peu la parole tombe : ils attendent des toutes petites choses, des ‘oui, oui’ des hochements de tête, des petits signes d’intelligence, comme on dit). (…) Autre stratégie du présentateur : il manipule l’urgence ; il se sert du temps, de l’urgence, de l’horloge, pour couper la parole, pour presser, pour interrompre. Et là, il y a un autre recours, comme tous les présentateurs, il se fait le porte-parole du public : ‘Je vous interromps, je ne comprends pas ce que vous voulez dire. Il ne laisse pas entendre qu’il est idiot, il laisse entendre que le spectateur de base qui par définition est idiot, ne comprendra pas. Et il se fait le porte-parole des ‘imbéciles’ pour interrompre un discours intelligent ».
Un visionnage intégral de l’émission dont il est question ici, vous démontrera de façon éclatante que Mr Pascal Praud a « coché » l’intégralité des cases bourdieusiennes citées plus haut. Il en a même rajouté en devenant franchement agressif et dédaigneux à la limite de l’impolitesse.
En réaction au buzz négatif que son émission avait provoqué, Pascal Praud s’est défendu, en prétendant avoir été trahi par des montages trompeurs diffusés sur YouTube.

Or, il n’en est rien. Si vous prenez la peine de visionner l’intégralité de l’émission en question, vous vous apercevrez même que l’attitude journalistique (une véritable carricature de celle décrite plus haut par Pierre Bourdieu) a été en tous points semblable à celle décrite dans la vidéo d’analyse.

Un regard attentif sur d’autres émissions de débats vous montrera qu’en fait, même si elles sont beaucoup moins tranchées que celle-ci, elles répondent très souvent à ces critères de « confiscation » de la parole et de déloyauté envers le devoir de neutralité journalistique.

Des émissions officiellement consacrées aux gilets jaunes, par exemple, ou à des militants d’autres causes (au choix, il y en a beaucoup, dans le domaine contestataire en ce moment) où vous pourrez constater, chrono en main, que sur une heure d’antenne, une fois passés les longs tunnels de commentaires, les interventions de « spécialistes de la question » et autres politiciens venus essayer de faire de la récupération politique, les fameux gilets jaunes ou militants en question, à qui l’émission était soit disant entièrement consacrée, ne se sont en fait exprimés que durant quelques courtes minutes.

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