Magicien, guérisseur et prédicateur, fatigué d’arpenter l’Europe au rythme de ses escroqueries, le mystérieux comte italien Alessandro de Cagliostro débarque en France dans la ville de Strasbourg, avec l’intention de peut-être s’y installer définitivement… Mais son incorrigible malhonnêteté l’en empêchera.
C’est le 19 septembre 1780 que le fringant carrosse au puissant attelage (pas moins de six magnifiques chevaux noirs et luisants) du comte Alessandro de Cagliostro débarque en France dans la ville de Strasbourg. Prévenue de l’arrivée d’un grand seigneur italien guérisseur, la ville accueille le nouveau venu avec curiosité et enthousiasme.
Installé au centre de la ville, le comte multiplie les largesses, mène grand train et paie presque toutes ses factures à l’avance. Reçu par le cardinal de Rohan et introduit dans le milieu de la haute bourgeoisie locale, Cagliostro fait forte impression en dispensant conseils et remèdes à titre gratuit. La nouvelle se répand dans la ville : un nouveau seigneur, savant et guérisseur, fait bénéficier tout un chacun de sa science occulte. Cagliostro prétend tout guérir avec ses remèdes miracles, il théorise sur l’influence de la répartition du sang dans le corps humain, étale ses connaissances en matière de médecine orientale, de magie égyptienne et d’alchimie. Il prétend en outre devoir concocter ses remèdes au moment des équinoxes. Magicien, prédicateur, le comte italien sidère ses interlocuteurs, et surtout, il réussit un coup de maître : il parvient à remettre sur pied un malade que les médecins considéraient comme condamné. En effet, le secrétaire d’un officier (le commandant de Lasalle) retrouve la santé après avoir consulté le comte alors que son médecin le croyait condamné par la gangrène. Un succès « irréfutable » (un sacré coup de chance, en vérité) qui établit la réputation de Cagliostro. De toutes parts, les gens accourent pour se faire soigner par le comte magicien…
Ses remèdes sont si convoités que quelques apothicaires peu scrupuleux s’aventurent à en réaliser des copies qu’ils vendent comme s’il s’agissait des originaux (à charlatan, charlatan et demi !). Le comte réagit en faisant placarder des affichettes dans toute la ville et sur lesquelles il est écrit : « Monsieur le comte de Cagliostro ayant appris qu’il se débitait dans Strasbourg et à prix d’argent des gouttes intitulées “gouttes de Cagliostro“ se voit obligé de déclarer que les personnes qui les débitent ne détiennent pas la formule secrète du comte et ne peuvent donc garantir leur véritable composition. Le comte de Cagliostro ne saurait être tenu pour responsable des effets néfastes que ne manquera pas de produire un remède grossièrement falsifié. Le comte de Cagliostro, en conséquence, désavoue avec vigueur tout produit subrepticement dévoyé et qui, de toute manière, n’a d’efficacité que s’il est administré par lui-même. »
Voilà une déclaration pour le moins amusante : non content de fustiger les « charlatans copieurs » (ce qui est de bonne guerre…) le fumeux comte italien parvient à faire croire à une bonne partie de ses patients qu’il est le seul capable d’administrer efficacement ses remèdes. Il n’en demeure pas moins vrai que la réputation « magique » de Cagliostro finit par en agacer plus d’un au sein du corps médical strasbourgeois. Certains praticiens réagissent en condamnant formellement les pratiques et les remèdes du « charlatan italien ».
Mais, devenant très ami avec le cardinal de Rohan, Cagliostro devient peu à peu une personnalité incontournable dans la ville… Invité dans le meilleur monde, il plastronne et dispense ses conseils en faisant subir à bon nombre les effets de son mauvais caractère. Car monsieur le comte est un personnage violent et versatile, il n’hésite pas à agresser verbalement ceux dont l’allure ou l’attitude ne lui plaisent pas.
C’est d’ailleurs au cours d’un dîner donné en son honneur par le cardinal de Rohan que son arrogante attitude va lui être fatale. Voisin de table de la comtesse de Cagliostro, M. de Narbonne, colonel du régiment de la reine, a le malheur de renverser un peu de sauce sur sa robe. Ce voyant, le comte invective le colonel au point que ce dernier demande réparation immédiate, à l’épée ou au pistolet ! Prenant peur, le comte décline le duel en arguant de sa mauvaise vue et de son incapacité à se battre. La réponse du noble officier cingle comme un méchant coup de trique : « Il est bien désagréable pour un homme d’honneur et de naissance de se trouver, à la table de M. le cardinal, confondu avec des comtes et des comtesses faits à la hâte, tombant comme des bombes, Dieu sait d’où ! ». Sur ces fortes paroles, le colonel de Narbonne jette violemment une assiette à la figure du comte italien. Ce dernier a beau tergiverser et se confondre en excuses, la nouvelle de cet incident se répand dans toute la ville et les quolibets fusent de toutes parts à propos de ce soi-disant comte, incapable de défendre son titre, un beau dégonflé !
La réputation de Cagliostro se ternit peu à peu dans la ville alsacienne, d’autant que ses « remèdes miracles » (concoctés à base de vin et de plomb !) s’avèrent, à l’usage prolongé, plus toxiques que bénéfiques.
Attaqué par ses « confrères » de la faculté de médecine, raillé par une partie de la population et soutenu du bout des lèvres par ses anciens protecteurs, le comte de Cagliostro finit par quitter discrètement Strasbourg le matin du 13 juin 1783, un peu moins de trois ans après son arrivée triomphale.
Après un rapide passage à Naples, on le retrouve à Bordeaux fin 1783, à Lyon en 1784, mais il ne perd pas pour autant contact avec son puissant protecteur, le cardinal de Rohan qui, à l’épreuve des faits, lui voue une solide estime et une admiration disproportionnée. En effet, le cardinal n’hésite pas à le comparer, de façon assez ridicule, à une incarnation de Dieu sur terre ! « Brillante » analyse pour un grand ecclésiastique ! C’est à Paris l’année suivante, que Le cardinal se fera berner dans la fameuse affaire du collier de la reine, par des escrocs particulièrement bien organisés appuyés par la complicité de son « ami » Cagliostro, qui usera de tous ses pouvoirs pour le pousser à se comporter comme le dernier des naïfs. Il ira jusqu’à simuler des scènes de voyances extra-lucides pour le convaincre d’acheter en sous-main le fameux collier pour le compte de la reine de France, qui n’avait jamais voulu de ce bijou dispendieux. L’affaire s’enraiera, provoquant un scandale énorme, et tous les protagonistes seront mis sous les verrous, le cardinal-victime y compris. En 1786, Cagliostro sera relâché, à la suite d’un procès épique lors duquel il plaidera son innocence, brillamment appuyé par son avocat Jean-Charles Thilorier, en noyant à souhait le tribunal sous une avalanche d’anecdotes et de déclarations contradictoires. Il est immédiatement expulsé vers l’Italie, où d’escroqueries en mystifications il finira par être arrêté sur dénonciation en 1789 par la Sainte inquisition et condamné à mort en 1791, pour pratiques scientifiques illégales et franc-maçonnerie. Sa peine sera ultérieurement commuée en emprisonnement à vie et il mourra à la forteresse de San Leo (Italie), le 26 août 1795, sa dépouille enterrée sans aucune cérémonie, de la façon la plus rustre, par des gardiens, à un jet de pierre de la lugubre forteresse. Sa sépulture est aujourd’hui introuvable. De son vrai nom Guiseppe Balsamo, le soi-disant comte de Cagliostro était un aventurier sicilien originaire des quartiers miséreux de Palerme. La seule formation réelle qu’on lui connaisse est celle d’infirmier, prodiguée par les frères de la Miséricorde, au couvent de la petite ville sicilienne de Caltagirone dont il sera chassé en 1758, à peine deux ans après son arrivée, sans avoir pu achever son apprentissage, pour escroqueries et vols. Sa vie tumultueuse et mystérieuse, émaillée d’aventures délirantes et de rencontres incroyables, réelles ou totalement inventées, marquera bien des esprits, et inspirera, entre autres, des écrivains comme Casanova (les deux hommes se sont réellement rencontrés, en 1769 à Aix-en-Provence) ou Alexandre Dumas. Arrogant et mythomane, le pseudo comte trouve encore aujourd’hui de nombreux défenseurs, qui voient en lui un génie de la science, trop en avance sur son époque. Il est amusant de constater qu’il envisagea sérieusement de s’établir définitivement en France à Strasbourg et qu’il participa, par sa tentative d’escroquerie, au plus grand scandale de son époque, qui allait entacher irrémédiablement la réputation de la reine Marie-Antoinette, et précipiter sa chute.