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Le syndrome de la similitude

Lors d’un achat ou d’une négociation commerciale, le discours et les signes envoyés par nos interlocuteurs peuvent largement dépasser du cadre des enjeux officiellement établis. Il existe des techniques d’attitude et de langage permettant de devenir « ami » avec son client, le temps d’une vente, pour mieux endormir son esprit critique.

Dans la plupart des cas, nous réagissons instinctivement aux signes envoyés par les gens qui nous ressemblent, sans pour autant que notre réaction soit réellement consciente. Les signes visuels positifs, rassurants ou impérieux influent ainsi sur nos comportements. De nombreuses expériences ont démontré qu’on avait davantage tendance à imiter le comportement de quelqu’un ayant de l’allure, ayant l’air raisonnable ou encore autoritaire. Dans son ouvrage Influence et manipulation, le docteur en psychologie sociale Robert Cialdini rapporte : «… un homme de trente et un ans traversait, à plusieurs reprises, la rue au feu vert, au mépris du code de la route. Dans la moitié des cas, il était vêtu d’un costume au pli impeccable et portait une cravate ; dans les autres cas, il était en bleu de travail. Les chercheurs observaient la scène de loin, et comptaient le nombre de piétons qui lui emboîtaient le pas. Comme les enfants derrière le joueur de flûte de Hamelin, les piétons furent trois fois et demie plus nombreux à s’engouffrer à la suite du piéton imprudent dans le flot de voitures, fascinés, non par le son de la flûte magique, mais par l’élégance d’un costume. » Cette expérience, menée il y a bien des années au Texas par les Professeurs Leftkowitz & Blake, indique clairement, au-delà de la connivence « pure et dure », la tendance à imiter celui qui nous « séduit » ou à qui on aimerait ressembler. De même notre confiance instinctive (animale, serait-on tenté d’ajouter) s’amenuise face à un interlocuteur trop différent de nous et augmente à mesure que des similitudes et point communs apparaissent.

Cette réaction, en grande partie inconsciente, pourrait être affiliée à une sorte de « racisme instinctif » ou un ostracisme basique dû à la peur de l’inconnu. Un négociateur chevronné ou un excellent vendeur le savent bien. Dans beaucoup de cas, ils ont même été formés pour apprendre à parfaitement jouer sur les leviers inconscients de leurs clients, et abaisser les barrières de leur méfiance. Ils agissent de façon dénotative et connotative ! Explication : prenons un vendeur d’électroménager qui va vendre un réfrigérateur haut de gamme à un client. Dans un premier temps, il va effecteur ce qu’on appelle une lecture à froid de son client, c’est-à-dire collecter le maximum d’informations relatives à ce dernier en fonction de son allure (habits, bijoux, montre, chaussures) de son comportement physique (rapide, lent, gesticulant ou calme) de son langage et, bien évidemment, de son âge. Ensuite, il va adapter son discours à tous ces éléments, modifier certains éléments de langage (on n’utilise pas les mêmes expressions avec un chef d’entreprise de 45 ans qu’avec un jeune graphiste au look néo-gothique, et pourtant, tous les deux ont bien l’usage d’un réfrigérateur !), il va, dans un premier temps user de remarques dénotatives, parfaitement identifiées par son client : « J’aime assez les vestes en cuir et je vois bien qu’avec le blouson que vous portez, vous êtes amateur de qualité » (connivence et compliment : « on aime le cuir tous les deux, et t’as pas un style à acheter de la camelote ! » Voilà ce qu’entend clairement le client) le client à l’air sportif ? Amateur de rock ? Le vendeur va s’adapter… Ensuite, une fois qu’on a brisé la glace (c’est le cas de le dire, concernant l’achat d’un frigo !) le vendeur va agir par petites touches connotatives, c’est-à-dire, induites et détournées. S’il a bien remarqué la chevalière voyante du client, et sa montre un peu trop « bling bling », il se gardera bien d’en faire mention. En revanche, devant le plus pimpant des réfrigérateurs coloré et bourré de gadgets, il ne manquera pas de s’exclamer : « Vous voyez, celui-là, qui est très performant, je l’aime bien, il a de la gueule, franchement, là “ça claque !“ et j’aime beaucoup ! ». En ne décrivant pourtant que son produit, il guide (ce qui est normal) le client vers le produit qu’il est censé apprécier (un matériel voyant) et, concomitamment, il donne une appréciation personnelle sur le produit qui induit que, lui aussi, aime bien le matériel voyant… Connotatif parfaitement maîtrisé, il progresse et marque encore un point de similitude et de connivence avec le client ! S’il s’était agi d’un trentenaire en costume de banquier et aux manières discrètes, il aurait vanté son produit en arguant qu’il n’est pas nécessaire de le commander en version laquée rouge et chrome, mais que le côté « valeur sûre » de la marque serait bien mieux mis en valeur dans un gris discret, en arguant qu’il est amateur d’élégance et de classicisme. Il s’adapte et, tout en proposant le produit qui correspond au client, essaie de donner l’impression qu’il choisirait la même chose que lui. On achète plus facilement un produit à un vendeur qui nous ressemble, qui a des goûts qui nous correspondent… Celui-là, au moins, il nous comprend, il est conscient de ce dont on a besoin ! Cette connivence de synthèse avec le client, une fois qu’elle est bien établie, de manière efficace, peut même être utilisée, dans certains cas, jusqu’au chantage affectif ! Le vendeur est devenu votre « ami », il plaisante, vous complimente et, au moment où vous hésitez, ou montrez des signes de refus possible d’achat, peut même jusqu’à vous regarder d’un air un peu triste en montrant des signes d’inquiétude et présageant d’un comportement déçu et blessé au cas où la vente tomberait à l’eau. Son regard de « cocker triste et inquiet » est chargé de signification, il vous envoie un message assez mélancolique qui de façon subliminale dit : « Là je pensais que nous nous comprenions, que nous étions en connivence, presque amis… un refus de votre part serait extrêmement décevant »… Il peut même y sourdre un second message du style : « Tu as bien besoin d’un réfrigérateur, tu vois bien que je te trouve cool, que je t’apprécie, signe donc avec moi, tu vois bien que je suis sympa, tu vas gâcher l’ambiance de ce moment d’amitié entre nous…manquer d’empathie à mon égard ».

Dans cette configuration, devant l’éventualité de « gâcher l’entrevue » et de faire retomber l’ambiance, une étude menée en collaboration avec le psychologue Léonard Bickman a établi qu’environ 25 % des personnes concernées (les plus influençables ou émotives) ne parviendront à sortir de cette situation qu’en achetant le produit (à condition qu’il ne soit pas trop onéreux ou trop important), pour ne pas gâcher l’ambiance agréable de connivence, qui a été établie par le vendeur.

Or, même si les vendeurs sont des êtres humains comme nous, que l’aventure est au coin de la rue et qu’il n’est pas, dans l’absolu, impossible de devenir super pote avec un type qui vous a vendu de l’électroménager, il faut bien reconnaître que dans 99,9 % des cas, quand on se rend dans un magasin d’électroménager avec dans l’idée de changer son réfrigérateur, on n’est pas là pour se faire des amis… On est là pour acheter le meilleur produit au meilleur prix. Pour garder l’esprit clair, évitez de trop raconter votre vie aux vendeurs, tenez-vous en aux faits et ne tenez pas trop compte des compliments, remarques et autre stories qui accompagnent l’argumentaire du vendeur… Vous êtes là pour acheter un objet, concentrez-vous sur cette mission, et méfiez vous des vendeurs qui tendent à trop vouloir vous ressembler. u

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