VERSION LONGUE DE L’ARTICLE PARU DANS CURIOUZ 13 : VOUS PARLER DE RIEN
Aujourd’hui j’aimerais vous parler de rien. Et Rien ce n’est pas rien comme disait Devos, « la preuve, c’est qu’on peut le soustraire. Rien moins rien, rien ! Rien moins rien moins rien, trois fois rien et pour trois fois rien on a déjà quelque chose ! »
On m’a proposé d’écrire dans ce journal en me laissant une liberté totale quant au choix de mes sujets. Mais être libre de choisir c’est, d’une certaine façon, être prisonnier du choix. Puis ensuite, pour certains, du doute (c’est ce qui fait que les chefs sont rares et les suiveurs nombreux bref)
Me voici donc en face de toutes les routes du monde et le devoir de décider laquelle je vais suivre à vos côtés le temps de 3000 caractères. Vertigineux !
Pour m’aiguiller, je regarde les thèmes du numéro qui sont évidemment tous fascinants : « Les objets qui comblent le vide », « la paranoïa », « le chiffre 13 », « Cagliostro » etc … Alors mes doigts pianotent sur mon téléphone et pour me renseigner je commence l’ascension des montagnes d’informations amassées sur les différents sujets ! Mon Dieu ! Il ne faudra faire qu’un seul article là où l’on pourrait écrire quatre livres (L’inverse d’Hollywood où l’on écrit quatre films à partir d’un article, bref).
Je lis dans tous les sens recoupant les informations jusqu’à en avoir la tête embrouillée, plus indécise que jamais et pleine de l’envie de tout évoquer. Ma mère (« Mais quel âge a-t-il ce pigiste qui vit chez sa mère ?! » Je suis en week-end chez elle pour changer un radiateur ! Ce que vous êtes curieux !) … Ma mère donc, me dit de prendre du recul et de faire un peu le vide. Après une nuit de sommeil, le sujet m’apparaît clair ! Le vide !
Nouvelles recherches !
L’idée que le vide existe n’est pas en soi une chose extraordinaire, ce qui l’est plus en revanche est le fait de concevoir son existence dans un monde physique rempli d’objets palpables à pertes de vue ! Et cela devient à mon sens quasiment magique quand on sait que cette conception hypothétique est née en -440 dans l’esprit de Démocrite qui n’avait ni cloche à vide, ni pompe à air, ni fusée spatiale. Cette théorie va donner lieu à toutes sortes d’inventions, notamment, celle du piston vers -270 (ce qui sert encore une fois dans le cinéma) et plus tard, de la pompe à eau par les romains.
Mais il faut attendre le 16ème siècle et le disciple de Galilée, Torricelli, pour que la notion de physique du vide soit mise en évidence. (Galilée n’ayant effectivement pas eu le loisir de mener à terme ses travaux sur la pression atmosphérique, quelque peu freiné par ses détracteurs catholiques ! Le pauvre homme a dû se dire « Ne pas pouvoir contrarier des principes religieux sous peine d’être inculpé, on se croirait revenus en 2020 »).
La question qui me vient d’emblée est donc comment un grec (sa nationalité importe peu, j’aurais pu dire turc mais la Turquie n’existait pas à l’époque et de toute manière il était grec… Comme, grosso modo, tous les gens importants de cette période. En -400 avant JC, tout le monde était visiblement grec) … Comment un grec qui n’avait aucun appareil à créer le vide, aucun appareil de mesure, rien, a-t-il pu proposer une telle théorie ?
Et si la réponse était justement dans la question ?
Je me revois hier, la tête pleine, dévorant les informations qui défilaient sous mes yeux, la musique en fond, les alertes de messages surgissantes, les publicités web qui proposaient à mon organe des pilules pour gagner quelques centimètres, la conscience qu’on attendait de moi un article et derrière tout cela, la pression de la vie sous toutes ses formes.
Démocrite lui n’avait rien. Pas d’internet, pas le désir de sortir son téléphone, pas de publicités lui proposant d’agrandir son phallus (ce qu’il aurait sans doute refusé, les petits sexes étant signe de virilité chez les grecs, cf : les statues de l’époque). Il n’avait pas de distraction, centré sur ses pensées, peu de perturbation… Il pouvait faire le vide en lui ! Il pouvait, à la façon des pompes romaines aller puiser au fond de son esprit de quoi s’abreuver lui-même.
Je n’invente rien, cela rejoint les principes de la maïeutique de Socrate : faire accoucher les esprits (Socrate qui rappelons-le était grec lui aussi et n’avait pas beaucoup de distraction lui non plus)
Démocrite et ses principes ont inspiré les Épicuriens et notamment le fameux poème « De Rerum Natura » qui propose une vision du bonheur loin de l’agitation de notre société, loin de l’amas des biens.
Hier je me saoulais d’informations, j’allais chercher des réponses à l’extérieur alors que c’est en ne faisant rien qu’une idée m’est venue… De l’intérieur.
Il me semble que l’on oublie souvent que les réponses peuvent venir de nous-même pour peu qu’on prenne le temps d’être apaisé, de penser, de faire le vide.
Alfred de Musset écrivait « C’est tout un monde que chacun porte en lui », voici donc un moyen pour aller le visiter !
Marc Tourneboeuf,
Comédien, auteur