Mythique ! Légendaire ! Fondateur ! Les superlatifs pleuvent plus fort encore que l’averse de l’époque sur ce célébrissime festival qui se tint du 15 au 18 août 1969 aux alentours de New York. Et pourtant, l’édition du cinquantième a nniversaire qui devait se tenir cette année a été annulée.
Triste début de siècle, s’écriront les défenseurs du « flower power », l’édition 2019 du 50e anniversaire de Woodstock, tant attendue par toute une génération n’aura pas eu lieu. Cause de l’annulation : les désaccords multiples concernant l’endroit (l’autorisation pour occuper l’emplacement historique avait d’emblée été rejetée), l’organisation (dantesque) et la sécurité des centaines de milliers de spectateurs attendus. Il faut bien dire que l’édition précédente (1999, le trentième anniversaire) avait laissé un très mauvais souvenir. Les 200 000 festivaliers (deux fois moins nombreux pourtant qu’en 1969) avaient transformé le « paradis musical » en « guérilla campagnarde », incendiant les camions, détruisant le matériel et les infrastructures, se battant autour des points d’eau ou distributeurs de billets, trop peu nombreux ! Le chaos de cette édition « fin du siècle- fin du monde » ayant, au bout du compte, nécessité l’intervention de l’armée !
Un mort (crise cardiaque), une dizaine de viols, une longue série de blessés et des millions de dollars de dégâts, camping-cars pillés, incendies multiples, vols et agressions. C’est en souvenir du lendemain de gueule de bois de cette funeste édition 1999, et en évaluant les difficultés à organiser aujourd’hui un festival à la fois « baba cool » et correctement encadré (une quadrature du cercle, diront certains), que la décision de ne pas réitérer l’expérience est tombée comme un couperet.
Il est amusant, en revanche de constater comme l’édition originelle de 1969 apparaît, à la lumière des difficultés actuelles, comme un lointain rêve de musique, de paix et d’amour devenu aujourd’hui inaccessible ! Les commentateurs ne tarissent pas d’éloge à l’égard du Woodstock original, où un demi-million de jeunes, communiant autour de la musique, a marqué à jamais l’histoire de la pop culture ! En regardant les photos attendrissantes de la fin des années 60, les commentaires laudatifs fusent de toutes parts : “Il n’y avait presque pas d’eau. Il n’y avait plus de nourriture dès le vendredi soir. Le temps était absolument épouvantable. Et pourtant, environ 450 000 personnes se sont rassemblées ici et il n’y a pas eu un seul incident de violence. C’est assez incroyable. Le monde a besoin de plus de Woodstock” s’exclament aujourd’hui Nick et Bobbi, les deux tourtereaux devenus emblématiques qui s’enlaçaient amoureusement sous la couverture au petit matin et dont le cliché à fait le tour du monde. Retrouvés par la presse people qui leur a même demandé de retourner trente ans plus tard sur les lieux du festival pour refaire une photo souvenir identique au moment magique ! Nous gardons cette image, gravée dans l’histoire : sous la pluie, se serrant avec affection, dans la paix, un demi-million d’hommes et de femmes ont entonné le fameux « No Rain » en écoutant les mélopées de Jetro Tull et les riffs endiablés de Hendrix sur sa gratte magique !
Nous sommes navrés de devoir gâcher l’ambiance et le recueillement religieux des thuriféraires de la « rock n’roll attitude », mais le festival de Woodstock 1969 fut, dans la réalité des faits, une véritable catastrophe ! On attendait entre 50 000 et 80 000 personnes, il en vint 450 000 ! L’ambiance au départ festive se transforma en cauchemar : embouteillages monstres, impossibilités d’accéder aux points d’eau, logistique débordée par le nombre. Pour couronner le tout, une pluie démentielle vint transformer le terrain de jeu en bourbier infect, les organisateurs refusèrent, en dépit des risques électriques graves, de suspendre les concerts par peur d’une émeute. Les agressions furent multiples : vols, viols, bagarres. Il y eut trois morts, deux par overdose ainsi qu’un homme écrasé par un tracteur alors qu’il dormait au sol dans son sac de couchage. Voilà le témoignage des gens qui participèrent vraiment à cette « féérie » du rock. Mais la légende est tenace, dans l’esprit des « foules sentimentales », de tout cet enfer de boue et de chaos, on ne veut garder qu’une image : celle de Bobbi et Nick enlacés sous une couverture, pour un bonheur éternel. Il ne reste plus qu’à pleurer sur ce paradis perdu en pestant contre les jeunes d’aujourd’hui qui ne savent plus s’amuser et se distraire en paix. Et pourtant, la réalité est beaucoup plus simple : organiser un festival chaotique et « sauvage » comme Woodstock, que ce soit en 1969, en 99 ou aujourd’hui, c’est reproduire exactement le même « merdier » ! Mais cette vérité-là , aujourd’hui, personne ne veut plus l’entendre.
Philippe Pernodet